Le jeune homme n'en pouvait plus. Qu'étaient devenus les autres? Pourquoi malgré ses protestations ont-ils préféré se séparer? Derrière lui, un grincement sinistre et métallique indiquait que le tramway repartait. Fatigué, il s'assit, contemplant l'étrange bâtiment lui faisant face. Ses contours, torturés, aux angles impossibles lui donnaient l'allure d'un château sortant de l'imagination d'un fou. Il se retourna, et du haut de la colline, scruta la ville qui s'étendait à ses pieds; un amas d'immeubles et de tours noires, aux arêtes tranchantes et froides, sortant de terre comme autant de griffes acérées. Il l'observait comme s'il y cherchait un signe de ses compagnons d'infortune, ou un signe, quel qu'il soit, qui puisse le guider dans ce monde vomit par un Lovecraft fatigué. Il ne savait plus, son regard devenait vide... il ne se souvenait même plus des raisons qui l'avaient poussé à atteindre cette colline et ce château. Son esprit s'embruma et s'envola vers des souvenirs plus colorés alors qu'il fermait les yeux. - Peut-être est-ce la mort? se dit-il, et il se souvint...
Il n'aimait pas particulièrement les représentations de fin d'année. C'était plus par convention, et pour sa fille bien entendu, qu'il s'était déplacé ce soir là à la salle des fêtes. Après avoir salué brièvement quelques parents il alla s'assoir ; au dernier rang afin de ne pas être indisposé par les flashs des "papa-razzis". Les lumières s'éteignirent, la pièce commença. Au début, il concentra son attention sur les costumes des enfants, essayant de reconnaître parmi les comédiens sa petite fille pour lui faire le petit sourire rituel et pour applaudir au bon moment ; ce qui la "comblerait de bonheur" pensa-t-il en grimaçant. Il aimait énormément sa fille mais la journée avait été rude et la fatigue se faisait sentir. Malheureusement, le personnage interprété par la petite ne devait pas apparaître de sitôt et l'enthousiasme exagéré des autres parents commençait à excédé le jeune homme. Il finit par les ignorer, la pièce même, puis tout ce qui l'entourait. Et à mesure qu'il s'enfermait dans ses pensées loin du monde et ses problèmes, il s'endormit.
A son réveil, la salle était vide. Ou presque, quelques autres parents semblaient avoir suivi son exemple. La salle était vide mais pas seulement, elle avait changé. Les fenêtres avaient disparu de même que les portes. Il n'arrivait pas à se rappeler comment ils avaient réussi à quitter les lieux, sûrement d'une manière impossible tout comme l'était l'univers qui s'offrit alors à leurs yeux ; ce conglomérat d'immeubles qui l'encerclait à présent, du haut de sa colline.
Un frisson le tira de sa torpeur, sa vue se brouillait comme ses souvenirs. Des cordes à pendu, des marionnettes, des quartiers déserts quadrillés de rues poussiéreuses... toutes ces images tournaient dans sa tête telles les pensées d'un ivrogne. Il inspira profondément comme le lui avait appris son psy pour calmer ses pulsions d'angoisse, et s'apaisa.
Il réalisa alors qu'il avait le derrière engourdit. Il se demanda combien de temps il était resté là à attendre mais se rendit compte qu'il s'était assis sur quelque chose de froid. Il s'écarta pour observer ce dont il s'agissait. C'était une vieille plaque métallique. Il y était inscrits quelques mots, presque illisibles tant le temps les avait poli. Le jeune tenta de les lire, à haute voix pour briser le silence pesant.
- Pu... Publ....Publié...euh...Lun ça doit être pour lundi... ouais sûrement ça, lundi 13... Ao...Août c'est ça! Lundi 13 Août 20... quoi!! 2007!!!
Il tomba à la renverse, et pleura.
_________________ Jér'M
|